Au terme d’une longue et pénible maladie, Jean-Claude Dumont nous a quitté dimanche 13 juin.
Jean-Claude était non seulement pour tous, un camarade, un ami, mais pour ce qui nous concerne tous les quatre, c’était un complice, avec lequel, en 2014, nous avons tant échangé pour concevoir et finaliser le « pavé » de nos « Souvenirs inavouables ». Il était l’un des cinq missaires dissimulés sous le pseudonyme « Cagoul’X », ce qui a tissé entre nous des liens indestructibles.
Jean-Claude vient de nous quitter et ça fait ressurgir tout un tas de souvenirs. À l’école, pendant l’année militaire, puis d’autres pour le reste de l’existence.
Pendant notre Point Gamma, les pitaines « verticaux » étaient responsables de binets et les pitaines « horizontaux » travaillaient pour tout le monde, charpente, décor, boissons, orchestres… Jean-Claude avait atterri pitaine des « objets spéciaux ». Le binet cow-boys (ou mafia mexicaine) avait besoin d’armes… Jean-Claude les a fournies. Comment ? Mystère car à l’époque les trafiquants ne courraient pas les rues.
Faut-il rappeler l’épisode du « saut de l’Ange » et des suites carcérales du plongeon un peu forcé d’un adjudant-chef éponyme dans la piscine de l’X ? Jean-Claude a été l’un des tous premiers « volontaires » pour effectuer 40 Jours d’Arrêts de Forteresse (JAF-respons), isolé sans la moindre plainte dans un fort lugubre dans l’est parisien.
Sous-bite dans l’ABC (Arme Blindée Cavalerie), nous nous sommes retrouvés une demi-douzaine à Saumur et nous avions réussi à louer le rez-de-chaussée du château de Cunault à une quinzaine de kilomètres, plein de petites chambres (cellules) et une grande pièce commune. Nous avions atteint des sommets en y organisant le dimanche des sauteries festives. Un entrefilet, publié dans la presse locale, « les sous-lieutenants polytechniciens organisent un thé dansant au château de Cunault » contribua au succès garanti auprès des jeunes filles à marier de Saumur et des environs. L’hiver approchant, nous avons du déménager. Aux petits matins, la route du bord de Loire était souvent verglacée et nous avions une peur bleue, craignant que Jean-Claude, qui savait à peine conduire, ne fasse, lui aussi, un jour ou l’autre, un « saut de l’ange » dans le fleuve.
Pour la seconde mi-temps sous le galon, Jean-Claude était à Spire au sud-ouest de l’Allemagne, proche du Rhin, dans la partie occupée par les forces françaises à l’issue de la seconde guerre mondiale. Dans un régiment de Hussards dont la mission principale, le renseignement en allant au plus près de l’ennemi, ne lui laissait que quelques heures de survie, au bout desquelles, normalement, un tiers des véhicules légers (des EBR et des jeeps), était tombé en panne, un deuxième tiers avait été détruit par les »rouges » et le troisième tiers s’était perdu sur le terrain.
Lors d’un exercice, Pierre, qui commandait une section de hussards basée à Pforzheim, avait perdu de vue trois quarts des siens qui s’étaient simplement trompés de petit lac lors d’une marche à la boussole, car des petits lacs il y en a pléthore au bord du Rhin. Jean-Claude, qui passait par là en jeep, lui a sauvé la mise en retrouvant en un rien de temps la moitié de la troupe égarée alors que Pierre s’apprêtait à passer la journée entière pour battre la campagne à pied et à louper le week-end en Autriche prévu à l’issue de la manœuvre.
Le week-end en Autriche a quand même été très bref. Arrivés à la frontière, tout le monde a présenté ses papiers, sauf Jean-Claude, évidemment, qui avait pour seule excuse de les avoir oubliés. Demi-tour et en route pour Hambourg !
Pour faire court, comme le dit Daniel qui y commandait une section au 32ème Régiment du Génie, on a vraiment bien « déconné » à Spire pendant cette année mili… Jean-Claude commandait un peloton d’EBR au premier Spahi. Les officiers de son régiment, qui s’y connaissaient pourtant en la matière, n’avaient jamais vu ça… Plein de souvenirs. Ça crée des liens.
Le début de sa vie professionnelle lui ressemble bien : il a choisi la Coopération et a débuté sa carrière en Afrique, au Sénégal ou en Côte d’ivoire. Puis nos parcours ont divergé et on s’est perdus de vue. On est donc forcément plus diserts. À notre connaissance, Jean-Claude est devenu directeur d’un EPIC et a œuvré dans le « trou » de Halles (nous sommes certains que d’autres camarades sauront boucher ceux de notre mémoire défaillante), puis au Louvre où il a découvert, grattage après grattage, de nouveaux (ou plutôt anciens) trésors de peinture.
Il s’est toujours beaucoup occupé de ses trois filles. Dans les longues périodes où l’une d’entre elles avait un examen, c’était le branle-bas de combat. Rien ne résistait au besoin de les aider à obtenir le meilleur. Qu’il a obtenu.
La rédaction de nos souvenirs de l’X, fut l’occasion de renouer.
Nous nous sommes revus à l’Ile aux Moines pour faire du bateau dans le golf du Morbihan et pécher des huitres sauvages, chez lui aussi, toujours pour manger des huitres. Il s’est acheté un second bateau, plus grand et plus rapide qu’il a décidé d’ancrer en Grèce, mais il n’a pas pu le ramener en France, il était déjà trop malade.
Nous perdons un excellent camarade, qui laisse le souvenir d’un acteur flamboyant lors de fêtes mémorables, mais aussi un compagnon au grand cœur, toujours prêt à rendre service, mais qui cache ses émotions derrière un humour parfois désinvolte. C’était vraiment une personnalité attachante, hors du commun … très éloigné de l’image classique du polytechnicien.
Paix à son âme et courage à Véronique.
RIP Cagoul’X number one
Pierre Latour, Daniel Reydellet, Jean-Claude Minne, Frédéric-Georges Roux
Réactions de nos camarades
Alain Pesson, qui a partagé son casert, a rédigé un texte qui décrit bien le tempérament éternellement juvénile de notre camarade. Il a joint quelques photos que nous mettrons très prochainement dans cette page :
Triste nouvelle.
Nous étions dans le même casert.
Son allure juvénile, cette jeunesse qu’il arborait encore lors du rassemblement à Cannes pour le cinquantenaire de la promotion, ne me laissait pas imaginer ces derniers mois le combat qu’il était en train de livrer et dont j’apprends le triste dénouement.
Il me semble qu’il aimait se lancer des défis, comme pour éviter d’avoir à en subir, ou être prêt à les affronter, telle cette néfaste maladie.
Dans ce casert, à l’approche de l’été, n’avait-il pas décidé d’entreprendre un bronzage intégral et installé à cette fin une lampe à bronzer sur un tabouret près de son bunoust ? Malheureusement, cette nuit-là, le sommeil le prit. Son séant se trouva soumis à une exposition prolongée aux UV. Il en résulta un vif coup de soleil artificiel et un réveil un peu douloureux.
Et ce soir de 14 juillet, ne s’était-il pas laissé aller à plonger dans la fontaine Saint-Michel ? Il ne pouvait savoir que le fond de la fontaine, traditionnel rendez-vous de buveurs nocturnes, serait parsemé de tessons de bouteille. Tendon du majeur (ou de l’annulaire) sectionné, son doigt dut être opéré et, rendu raide, conservera une sorte de coquetterie qu’il possédait encore lorsque nous nous sommes revus une cinquantaine d’années plus tard à Cannes.
Comme le rappelle Frédéric, la compagnie de Jean-Claude n’était pas triste.
La première photo que je retrouve était celle d’un dîner chez Bernard Cerf, avec Jean-Claude et Pierre Gobbi. Sur cette photo, on en était au stade des apéritifs. Le dîner fut aussi arrosé. Puis, nous sommes retournés à l’X dans la Triumph que Cerf conduisit d’un trait sur le boulevard Saint-Germain en ignorant la couleur des feux de circulation. Je me souviens simplement que cette nuit-là, mon lit tanguait.
Et oui, on voudrait bien être une fois encore, une fois seulement, beau et con à la fois.
Sur la deuxième photo, dans la forteresse de l’abbaye des Iles de Lérins, en zoomant à droite de la troisième colonne blanche, on le voit de profil, se tenant le menton. Il a toujours sa chevelure et ce visage à peine marqué de de ses vingt ans.
Sur la troisième photo, Jean-Claude est de dos. Il est debout, la veste rejetée sur l’épaule, immobile et fait face au chevet de l’abbaye de Saint-Honorat. Pendant un long moment, il m’a semblé être en extase. Que pouvait-il penser ?
Quoi qu’il en soit, j’imagine que nous sommes nombreux à penser à lui.
En première année, nous avions dans le casert un électrophone, qui jouait assez souvent, du grand Georges, « Les copains d’abord »
Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l’un d’entre eux manquait à bord
C’est qu’il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l’eau n’se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore.
Mes condoléances à tous,
Alain Pesson