Les vacances militaires se déroulent conformément à la tradition et les sergents ne nous épargneront aucune des épreuves les plus classiques : pompes, ramper dans la boue, parcours du combattant, démontages, nettoyages et remontages (bis repetita placent) de nos armes puisqu’il y a une poussière dans le canon !
Lits au carré, cirage de rangers, marches forcées, de jour comme de nuit, corvées de pluche, de chiottes et de balayage qui, comme l’a dit Sully « sont les trois mamelles de la France. » Tout ça avec les vociférations indispensables et les cris cherchant à mater les petits bleus diplômés.
Daniel se souvient et raconte :
« L’instruction militaire de base nous fut délivrée sur un site hautement touristique, essentiellement fréquenté par… des milliers de moutons. À l’époque, ils paissaient en terrain ouvert, sous la garde de bergers assistés de chiens, comme il se doit dans la tradition. Il n’était donc pas rare, lors d’un exercice de combat, de se trouver brusquement environné de brebis effarouchées par les détonations de grenades à plâtre et les tirs d’armes portatives (cartouches à blanc, bien sûr !), ce qui provoquait l’ire de leurs pâtres :
« C’est pas juste, sergent, on n’a pas le droit d’utiliser des moutons pour faire la guerre ! »
« L’autre particularité de « La Cavalerie » (déjà tout un programme), c’était le camp de harkis. Nous regardions avec curiosité ce petit morceau d’Algérie transporté au centre de la France, d’autant plus que, pour notre génération, la guerre, la mobilisation du contingent, les attentats FLN et OAS avaient meublé notre adolescence.
« Ces braves soldats, que la France d’alors n’a pas su traiter avec le respect qu’on leur devait, étaient particulièrement « nature », et la synthèse des deux éléments (moutons+harkis) s’est traduit en fin de stage par un méchoui mémorable et surtout fort arrosé (pas seulement par la pluie), dont certains ont mis un peu de temps à se remettre !
« Tout au long de ce séjour on a vu apparaitre petit à petit les vraies personnalités : le morphale (« Tartine au pain de guerre et au lait condensé : hum …c’est bon ! »), le bulleur (« Excusez-moi, sergent, je m’étais assoupi. » ), le tapeur (« Dis, tu n’as pas fini ta ration de Gauloises ? »), le plaisantin (« On n’est pas beaucoup payé, mais qu’est-ce qu’on rigole ! »), le sex-maniac (sur l’air du réveil de la cavalerie : « As-tu connu la putain de Nancy qu’a foutu la vérole à toute la cavalerie ? » ), ou les bourgeois qui allaient dîner tous les soirs au restaurant du coin, à 300 mètres à droite en sortant du camp.
« Mais c’est visiblement la mili qui a fait la preuve de plus de perspicacité pour analyser les caractères et les motivations profondes de chacun. C’est ainsi qu’un sergent instructeur, particulièrement fin psychologue, et lassé par le peu d’enthousiasme montré par sa section pour les activités militaires, avait tenu ce discours définitif : « Je n’aime pas cette résistance passive: je préfère une opposition franche, carrément antimilitariste, comme celle de Poinvache et Raidebeau. Avec eux, on sait au moins à quoi s’en tenir ! »
« La prémonition de ce sergent était remarquable. Les deux dangereux agitateurs ont tous deux terminé leur carrière comme généraux quatre étoiles. Bravo l’artiste ! »